mardi 30 novembre 2010

Merapi: auprès des sinistrés


Le volcan reste actif mais son intensité décroit. Ainsi, de nombreux "déplacés" - je reprends ici la terminologie officielle - sont retournés dans leurs villages, bien que certains d'entre eux soient encore situés dans le périmètre de sécurité. Il faut être précis, la plupart de ces personnes ont tout perdu: il s'agit majoritairement d'agriculteurs et d'éleveurs dont le bétail et les terres ont subit le lourd préjudice de l'éruption du siècle.

Bien sur, les ONG sont nombreuses et très présentes pour aider la population dans cette phase "d'early recovery". Il y a même une certaine concurrence: ici, tel parti politique, là telle marque de cigarette qui reconstruit un village - les ouvriers sont rémunérés en cigarette à vie, inconcevable dans nos contrées - là bas telle mouvance aux soupçons radicalisant qui propose son aide. Mes voisins ne sont pas en reste. C'est le cas de Brian qui plusieurs fois par semaine se lance dans un périple autour du volcan afin d'apporter des couches, du riz, des serviettes hygiéniques, des vêtements, aux populations locales.

Aujourd'hui, Brian m'a emmené dans la région de Magelang, près du village de Muntilan. Si cette zone a paradoxalement connue un faible nombre de victimes - en comparaison avec la région de Sleman, dans laquelle je réside - les dégâts matériels sont nombreux et les conséquences pour la population d'une ampleur que je n'aurais pu imaginer. Nous sommes donc parti de Sleman, pour rejoindre Muntilan, puis, pour finir par nous approcher à 6 KM du sommet du Merapi. celui-ci reste décelable dans son panache de brume. Partout, les arbres sont couchés, les bambous brisés. partout, cette cendre et ce sable par kilos, qui envahit les maisons et lors des pluies donne naissance à une mélasse grise.

nous passons sur un pont, non loin d'un des check points tenus par l'armée: cette dernière ne peut empêcher les paysans locaux de regagner leurs domiciles, de tenter de sauver ce qui peut l'être: peu de chose. Sur ce pont, vers l'amont, un barrage. ou plutôt, ce qui en reste. celui-ci a été détruit par un lahar, ces monstrueux torrents de boue et de débris qui descendent du sommet à la vitesse de 50 KM/H. Des blocs de la taille d'une moto jonche la rivière. Plus loin, notre SUV ne pourra plus passer: il faut s'en remettre aux Ojek, moto taxi locale. A travers les débris, ils vont nous faire découvrir un paysage dévasté.

Ici, la rivière s'est scindée en 3 différents lits, emportant un pont et paralysant un barrage qui menace lui aussi de céder. Plus loin, un champs de cailloux: tous viennent du volcan, et en s'approchant, je peux récupérer quelques morceaux de pierres ponce et autre lave solidifiée. La rivière - ou plutôt le torrent de boue - s'est engouffré dans cet espace. Fort heureusement, il n'y avait aucune habitation en vue. L'un de mes interlocuteurs me montre une petite pierre ponce, que je prend en main; il insiste, la nuit du 4 novembre, ce sont ces pierres qui tombaient du ciel.

Vers l'Est, l'inquiétante silhouette du Merapi. bien sur, nous restons branché sur la radio des Tim SAR, ces équipes de recherche et de sauvetage. Si une nuée ardente se produit, nous le saurons rapidement. Mais - tant mieux - ce n'est pas dans l'humeur de gunung Merapi. D'ailleurs, la région n'a quasiment pas été touchée par les nuées ardentes. Par contre, oui, ce fut le cas avec les lahars, les cendres et le sable. Sur le dit barrage, un amoncellement de pierre et de débris. Notre guide d'un jour nous le dit "je suis javanais, je crois à ces mystères: regardez, tout reste en équilibre sur le barrage. Il faut respecter l'esprit de ce volcan".

Et c'est bien ce fabuleux mélange de mythes locaux et d'Islam qui inquiètent les plus radicaux. Ainsi, au lendemain du Tsunami de Mentawai et de l'éruption du merapi, le pitre de la communication, Tifatul Sembiring, Ministre membre du parti religieux islamique PKS s'était ému de ces catastrophes naturelles, les qualifiants de punitions divines pour des croyants plein de pêchés. La réaction ne s'est pas fait attendre et le Ministre en a pris pour sa fonction et son grade.

Nous quittons les rives de ce qui était un champ pour devenir une rivière. Une rencontre avec des agricultures locaux permets de mieux comprendre les difficultés qui les attendent: ils cultivent le Salak, un fruit local. Mais les vergers ont été durement touchés, et il faudra plusieurs années avant que les cultures puissent reprendre.

Au-delà du risque de lahars, qui est tout aussi topographique qu'humain, c'est une véritable modification de la société qui va avoir lieu dans la région. les terres seront fertiles mais non cultivables. Les risques seront prégnant jusqu'en 2015 pour les coulées de boues meurtrières. Et les sources d'eau émanant des pentes du volcan ont été vaporisées ou ensevelies par l'éruption. Il n'y aura pas d'exode, mais de profonds changements. Comment aider ces personnes? parfois, un paquet de cigarettes, des couches pour enfants ou simplement 10 minutes en leurs compagnie à discuter de la situation actuelle suffisent. Ce qui me marque le plus, c'est sans doute leur courage et cette dignité. On peut y voir du fatalisme, mais c'est plus un rapport spécifique, constitué de croyances locales, vis à vis du Merapi. "Montagne de feu", tel est le nom du Merapi en javanais. Et c'est avec cette montagne de feu qu'ils ont accepter de vivre.

Des photos ici:
http://picasaweb.google.com/alban.sciascia/MerapiNearMuntilan20101130?authkey=Gv1sRgCMWinvWCoLLSqwE#

vendredi 26 novembre 2010

L'éruption du Merapi


A mon retour en Indonésie, au début du mois d'octobre, je ne m'attendais pas à vivre une telle expérience: l'éruption du Merapi. Bien sur, le volcan le plus actif du monde est connu pour se réveiller tous les 4 ou 5 ans. Mais cette fois-ci, ce fut ce que les scientifiques nomment déjà l'éruption du siècle.

Tout débuta à la fin du mois d'octobre, avec une forte chaleur dans la région, et une inquiétude croissante du centre de vulcanologie. Le 26 octobre, l'éruption débute. Une trentaine de morts sont dénombrés. Mais le Merapi n'en a pas fini. cette éruption du 26 octobre est somme toute classique. Mais l'intensité de l'activité s'accroit. Dès le 30 octobre, c'est une pluie de cendres qui recouvre la région. A cette période, je suis alors à Bangkok, puis à Kuala Lumpur. Suivant les informations à distance, j'en suis à me demandé si je vais pouvoir rejoindre Jogja.

C'est ce que j'arriverais à faire le 3 novembre 2010. Le paysage vu d'avion est sinistre: l'ensemble des bâtiments sont recouverts de cendres. je rejoins toutefois sans difficulté mon domicile, situé à 7 à 8 kilomètres (selon les cartes, mais je reviendrais sur ce sujet dans un prochain message) du périmètre de sécurité d'alors (15KM).

Le 4 novembre au matin, je suis réveillé par une forte chaleur: à l'extérieur, le temps est magnifique et je peux voir le Merapi cracher son panache de cendres. les nuées ardentes sont de plus en plus nombreuses, et l'on entends parfaitement le volcan grogner. Dans l'après midi, la visibilité est nulle, mais l'ont continu à entendre le volcan. Aux alentours de 17H00, on entendra le volcan à 30KM de distance. restant éveillé, je suis surpris par un coup de téléphone après minuit: ca y est, la grosse éruption a commencée.

le périmètre de sécurité passe à 20KM et j'observe un phénomène intriguant et effrayant: une pluie de sable, de cendres et de résidus de pierre ponce. S'y ajoute une boue volcanique qui va recouvrir l'ensemble de la rue. Ce qui surprend le plus, c'est l'odeur des gaz volcaniques. Et ce calme. Bien sur, on entend au loin les sirènes des services de secours, mais le bruit qui domine, c'est celui de cette pluie de sable. un crissement léger. Perturbant, car inconnu, mais qui n'est pas si dépourvu de charme. C'est sans doute dans ces moments que l'on s'attache à ces petits détails.

Il n'est pas question de prendre des photos. Déjà, c'est déjà la panique aux alentours, l'exode. Les voisins chargent leurs véhicules et fuient, vers le Sud. Mais je décide de rester à mon domicile, préférant éviter de prendre des risques sur des routes surchargées de réfugiés et de déplacés. Et puis, en se rapprochant des voisins, je me rends compte que ces derniers sont branchés sur la fréquence radio des Tim SAR, ces équipes de volontaires qui sans équipements vont braver les nuées ardentes afin de secourir les victimes. Mieux vaut faire confiance à des connaisseurs plutôt qu'aux médias indonésiens. Ces derniers ne méritent rien d'autre que le mépris. Sous couvert de liberté d'information, ils sont les principaux responsables d'une panique qui auriat pu coûter des vies.

Aux alentours de midi le vendredi 5 novembre, je décide d'évacuer à mon tour. Non pas que la maison soit menacée. Mais je n'ai plus d'eau. Il semblerait que l'ensemble des réservoirs soient envahis par les boues volcaniques. Me voici alors parti pour 5 nuits en hôtel, suivant l'évolution de l'éruption et essayant d'aider dans la mesure du possible.

Le retour se fera le mardi suivant, alors que l'eau est elle aussi revenue. Depuis? une vigilance accrue et l'attente d'une fin officielle de ce qui est encore aujourd'hui l'éruption du siècle